Intoxication aiguë au paracétamol

Le para-acétylaminophénol (paracétamol ou acétaminophène) est un antipyrétique et analgésique largement utilisé. En vente libre, ce médicament se distingue par la rareté de ses effets indésirables aux doses thérapeutiques. Néanmoins, l’intervalle thérapeutique est relativement étroit, avec un risque sérieux et souvent sous-estimé d’hépatotoxicité en cas d’ingestion massive unique ou répétée. L’identification rapide de l’intoxication, la décontamination digestive, la stratification du risque hépatotoxique et l’instauration précoce du traitement par N-acétylcystéine constituent les étapes critiques de la prise en charge. Le but de cet article est de revoir ces différentes étapes ainsi que les mécanismes de la toxicité de cette molécule.


INTRODUCTION


Malgré un profil de risque favorable, le paracétamol est l’une des principales causes d’intoxication médicamenteuse et de décès liés à des intoxications. Aux Etats-Unis, l’intoxication au paracétamol représente la première cause d’insuffisance hépatique aiguë.

En Suisse, le centre d’information toxicologique a recensé, en 2012, plus de 1200 appels liés à une intoxication aiguë au paracétamol. Ce chiffre est en constante augmentation depuis 1995. 13% des cas présentaient une gravité modérée à sévère et deux tiers des appels concernaient des adultes.

DONNÉES PHARMACOLOGIQUES

Le paracétamol est une molécule analgésique et antipyrétique. Son mécanisme d’action n’est pas entièrement connu mais implique une inhibition centrale de la synthèse des prostaglandines (effet antalgique) et de l’effet des pyrogènes endogènes au niveau des centres thermorégulateurs hypothalamiques (effet antipyrétique).

L’absorption intestinale est rapide et directement corrélée avec la vidange gastrique. Elle peut être retardée en cas de co-ingestion de nourriture, de médicaments qui ralentissent le transit (opiacés, anticholinergiques), ou de prise de comprimés retards ou enrobés. En conséquence, le pic plasmatique est atteint en général entre une et quatre heures, voire plus selon le scénario. 

Le paracétamol est métabolisé dans le foie et excrété dans l’urine sous forme glucuroconjuguée (60-80%) ou sulfoconjuguée (20-40%). La demi-vie d’élimination après administration orale est de 2 à 2 h 30. Une petite fraction (moins de 4%) est oxydée via le cytochrome P450 et transformée en un métabolite hépatotoxique.

Le principal métabolite toxique, le N-acétyl-p-quinonimine (NAPQI) est rapidement conjugué au glutathion, puis excrété. Lors d’intoxication massive, le stock de glutathion est rapidement déplété. Lorsque ce taux est < 30% de son niveau basal, le NAPQI hautement réactif se fixe au niveau des protéines de surface hépatocytaires et mitochondriales. Il induit un stress oxydatif et une altération de l’homéostasie calcique intracellulaire, responsable d’une nécrose centrolobulaire.

PRISE EN CHARGE DE L’INTOXICATION AIGUË AU PARACÉTAMOL

La prise en charge comprend cinq étapes :

  • l’identification rapide de l’intoxication ;
  • la décontamination digestive ;
  • la stratification du risque hépatotoxique ;
  • l’administration précoce de l’antidote, et 
  • la durée du traitement.


Identification de l’intoxication

L’anamnèse n’est pas toujours fiable (sensibilité 86%), notamment dans les situations d’intoxication volontaire. La dose, la formulation précise, le motif et l’heure d’ingestion représentent les éléments-clés de l’anamnèse pour la détermination du risque hépatotoxique. En cas d’ingestion unique, le risque d’hépatotoxicité est faible si la dose ingérée est < 150 mg/kg. Une co-intoxication par d’autres substances est fréquente et doit être recherchée.

Décontamination digestive

En cas d’ingestion unique de paracétamol à doses potentiellement toxiques, une décontamination digestive par administration de charbon actif est indiquée si le patient se présente dans les 2-4 heures suivant l’intoxication. Une dose unique de 1 g/kg (dose maximale de 50 g) administrée dans ce délai permet de réduire la paracétamolémie et le risque de toxicité hépatique. L’administration de charbon est contre-indiquée en cas de troubles de la vigilance, chez le patient dont les voies aériennes ne sont pas sécurisées en raison du risque d’aspiration bronchique.

Stratification du risque hépatotoxique

Le risque d’hépatotoxicité dépend principalement de la dose ingérée, en particulier en cas d’intoxication ponctuelle. La corrélation entre la dose rapportée et les taux sanguins est insuffisante pour permettre de guider l’administration de l’antidote. Par ailleurs, une augmentation de l’activité du cytochrome P450 (inducteurs enzymatiques), une diminution des capacités de glucoro-conjugaison (hépatopathies chroniques) et un déficit en glutathion (dénutrition, éthylisme chronique) augmentent le risque de toxicité.

Le nomogramme de Rumack et Matthew constitue le principal outil d’évaluation du risque en cas d’intoxication aiguë. Elaboré rétrospectivement à partir d’observations cliniques pédiatriques, le nomogramme prédit le risque d’hépatotoxicité en fonction des concentrations sériques de paracétamol et de l’intervalle de temps depuis l’ingestion. Il a été validé prospectivement. Le nomogramme est présenté dans la figure 1. Deux lignes obliques partagent le graphique en trois zones (risque probable, possible et non toxique). Par précaution, la ligne supérieure correspondant au seuil de 200 μg/ml a été abaissée de 25% (à 150 μg/ml) à la demande des autorités sanitaires américaines (FDA). Lors d’une intoxication aiguë, le premier dosage s’effectue au minimum quatre heures après la prise toxique. Entre quatre et huit heures après l’ingestion, une paracétamolémie au-dessus du seuil critique (risque toxique possible ou probable) est une indication à débuter un traitement de N-acétylcystéine (NAC), l’antidote de choix. En présence d’une paracétamolémie en dessous du seuil critique, la prise en charge se focalisera sur l’état général du patient et les éventuelles comorbidités psychiatriques.

Durée du traitement par N-acétylcystéine

Sur la base de quelques observations, le protocole de NAC administré pendant 21 heures a été jugé insuffisant par certains auteurs. Dans une étude rétrospective, portant sur 77 intoxications aiguës traitées par protocole intraveineux, 5,2% des patients ont présenté une hépatotoxicité en fin d’administration, motivant la poursuite du traitement pendant plusieurs jours. Un âge avancé, une dose ingérée importante, ou une prise de paracétamol combiné à d’autres substances ralentissant l’absorption intestinale représentaient des facteurs de risque de toxicité tardive.

Une approche individuelle adaptée à l’évolution clinique du patient est actuellement recommandée. En cas de paracétamolémie élevée persistante et/ou d’élévation des transaminases, il est conseillé de poursuivre l’administration d’acétylcystéine au-delà de la vingt et unième heure et de mesurer régulièrement la paracétamolémie et les paramètres hépatiques jusqu’à leur normalisation.

De même, certains auteurs proposent d’interrompre le traitement oral précocement (après 36 heures) en cas de normalisation de la paracétamolémie et des transaminases. Dans une étude rétrospective récente, comparant une administration orale sur 36 heures aux protocoles habituels, aucune différence en termes d’hépatotoxicité n’a été observée. La sécurité de telles adaptations des protocoles habituels n’a toutefois pas été évaluée dans des études prospectives.

CONCLUSION

La prise en charge des patients avec une intoxication au paracétamol repose sur quatre étapes critiques : l’identification de l’intoxication, la décontamination digestive, la stratification du risque hépatotoxique et l’administration précoce de l’antidote.

L’indication au traitement par NAC repose sur le dosage sanguin du paracétamol, le risque de toxicité et les délais. Les protocoles d’administration oraux ou parentéraux de NAC semblent avoir une efficacité similaire mais se distinguent par leur durée et leur profil d’effets secondaires. La précocité de l’administration de l’antidote est l’un des déterminants pronostiques majeurs. Enfin, il convient d’adapter la durée du traitement de NAC à l’évolution clinique et biologique individuelle.


Majd Ramlawi, Christophe Marti, François Sarasin