Neuropsychiatrie du désir Sexuel

Inspirée des concepts fondamentaux des neurosciences, la neuropsychiatrie est une discipline à l’interface entre psychiatrie, psychologie, neurologie et neuropathologie. De manière intéressante, la neuropsychiatrie peut également inclure des disciplines spécialisées comme la psychologie développementale, l’endocrinologie et la sexologie. Au cours de cet article, nous décrivons l’approche neuropsychiatrique et présentons comment elle peut être reliée aux neurosciences sociales et s’appliquer à la médecine sexuelle en décrivant son importance pour les dysfonctions sexuelles et le désir sexuel.

INTRODUCTION

Inspirée des concepts fondamentaux des neurosciences développés depuis longtemps, la neuropsychiatrie est une discipline à l’interface entre la psychiatrie, la psychologie, la neuropathologie et la neurologie. De manière intéressante, la neuropsychiatrie peut également toucher bien d’autres disciplines spécialisées comme la psychologie développementale, l’endocrinologie, les neurosciences sociales et la sexologie. Au cours de cet article, nous décrirons l’approche neuropsychiatrique dans son ensemble et présenterons de manière plus précise comment l’approche neuropsychiatrique peut s’appliquer aux dysfonctions sexuelles (et notamment au désir sexuel). L’approche neuropsychiatrique comprend l’étude et la prise en charge des troubles psychiatriques en relation avec un dysfonctionnement cérébral et vise à comprendre les interrelations complexes qui existent entre comportement et dysfonctions cérébrales. Ceci comprend aussi bien l’étude et/ou la prise en charge de patients ayant un dysfonctionnement cérébral que de patients ayant des troubles psychiatriques dont la cause est considérée comme étant non organique ou «fonctionnelle». Plus précisément, les troubles associés aux accidents vasculaires cérébraux, aux traumatismes crâniens, à la dépression, la schizophrénie, l’épilepsie, les démences et aux troubles génétiques peuvent être concernés par la neuropsychiatrie.

Bien que ce concept ne soit pas nouveau, il connaît, de nos jours, un nouvel essor étant donné son importance concernant la santé mentale tant au niveau individuel qu’au niveau institutionnel. En effet, avec le récent développement des neurosciences, la neuropsychiatrie est plus que jamais d’actualité. Notamment, elle joue un rôle crucial dans le domaine des neurosciences translationnelles qui tentent de faire le lien entre les aires cérébrales qui s’activent lors d’une tâche expérimentale en laboratoire contrôle et les comportements des individus dans la réalité.

L’évaluation neuropsychiatrique requiert une expertise et une évaluation clinique spécialisée sur les troubles du comportement. Selon les guidelines de l’American Psychiatric Association, les éléments principaux d’une évaluation neuropsychiatrique sont les suivants :

psychiatrique ;

neurologique ;

neuropsychologique ;

neuroimagerie et neurophysiologie.

En ce sens, l’évaluation neuropsychiatrique diffère des évaluations psychiatriques conventionnelles car elle inclut également une évaluation neurologique, un examen cognitif neuropsychologique et une attention particulière aux résultats en neuroimagerie. La combinaison de ces différentes évaluations permet de mieux appréhender la sphère mentale des patients dans leur contexte, ce qui est important étant donné que les troubles cérébraux peuvent affecter de nombreux aspects du comportement, mais aussi de la cognition, et même de la personnalité. Dès lors, un examen neurologique associé à une évaluation neuropsychologique rigoureuse constitue un avantage considérable à l’évaluation psychiatrique de base.
TROUBLES DU DÉSIR SEXUEL

La prévalence des troubles du désir sexuel est de 10-51% dans de nombreux pays, et ces troubles constituent la première cause de consultations aussi à Genève selon les statistiques récentes de la Consultation de gynécologie psychosomatique et sexologie aux Hôpitaux universitaires. Il est donc important de prendre en charge ces troubles de manière spécialisée et adaptée étant donné les enjeux pour la santé mentale. 

Diminution du désir sexuel

La diminution de désir sexuel est classée dans le DSM-IV sous le diagnostic «Trouble : baisse du désir sexuel (F52.0)». Actuellement, l’appellation est «désir sexuel hypoactif (DSH)».La caractéristique essentielle de ce trouble est un déficit (ou une absence) de «fantaisies imaginatives d’ordre sexuel (fantasmes sexuels) ou de désir d’activité sexuelle», qui sont marqués par un changement par rapport au désir habituel de l’individu et qui est à l’origine d’une souffrance prononcée ou de difficultés relationnelles. L’individu souffrant de ce trouble est peu motivé dans la recherche de stimuli sexuels et habituellement ne prend pas l’initiative d’une activité sexuelle ou s’y livre avec réticence quand son partenaire prend l’initiative. Différents facteurs peuvent être associés à une diminution du désir sexuel. Par exemple, des facteurs somatiques, endocrinologiques, psychologiques et neurobiologiques sont parfois en cause. Les études en neuroimagerie des patients avec diminution de désir sexuel constituent aussi un outil unique et non invasif pour comprendre les variations neuronales chez ces patients. A ce jour, ces études montrent que les patients avec diminution de désir sexuel ont non seulement une diminution d’activité dans les régions cérébrales impliquées dans les émotions ainsi que dans la représentation mentale de soi, mais aussi une activité anormale et soutenue dans les aires cérébrales importantes pour l’inhibition des comportements motivationnels.

Augmentation du désir sexuel

Des troubles du désir sexuel peuvent aussi se manifester par une augmentation avec une hypersexualité (American Psychiatric Association, 1994). Les troubles du désir sexuel hyperactif ne font pas seulement appel à des mécanismes de pulsions instinctuelles, mais également à des mécanismes sociocognitifs complexes qui peuvent apparaître chez l’adulte de façon soudaine ou progressive. Des paraphilies peuvent être associées à un désir sexuel hyperactif.

Déviances du désir sexuel

Selon le DSM-IV, les paraphilies (comme par exemple, le fétichisme, l’exhibitionnisme, le sadisme, le masochisme) sont caractérisées par «des impulsions sexuelles, des fantaisies imaginatives, ou des comportements survenant de façon répétée et intense, qui impliquent des objets, activités ou situations inhabituels et sont à l’origine d’une souffrance subjective cliniquement significative ou d’une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.»

Les paraphilies sont rapportées plus souvent chez des hommes que chez des femmes. Cependant, lorsque ces déviations sexuelles sont associées à des troubles neurologiques, elles sont observées de manière équivalente tant chez les hommes que chez les femmes. Chez certains patients ayant un retard mental, une démence ou une modification de la personnalité due à une affection médicale générale, l’intoxication par une substance ou un traumatisme crânien ou un épisode maniaque ou la schizophrénie, il est possible d’observer une «diminution du jugement, des aptitudes sociales ou du contrôle des impulsions qui, dans de rares cas, conduit à un comportement sexuel inhabituel». Ceci peut se différencier d’une paraphilie par le fait que le comportement sexuel alors généré n’est pas le mode préféré de l’individu et que les symptômes sexuels associés se produisent exclusivement au cours de l’évolution des troubles mentaux et de l’atteinte cérébrale. Par exemple, une étude réalisée en 1989 a examiné des «serial sexual murderers» et a trouvé que 70% d’entre eux faisaient preuve de masturbation compulsive, 25% s’étaient exposés en public de manière indécente, 75% faisaient preuve de voyeurisme, 71% de fétichisme et 25% de transvestisme. 

TROUBLES NEUROLOGIQUES ET TROUBLES DU DÉSIR SEXUEL

Différents déficits neurologiques, comme ceux liés à un accident vasculaire, une tumeur, une épilepsie, la maladie de Parkinson, la maladie de Huntington ou la sclérose en plaques, peuvent être à l’origine de troubles sexuels.10-12,18 Les études cliniques, ayant abordé le problème des dysfonctions neurologiques (notamment la baisse du désir sexuel) montrent que 26% à 90% des patients ayant une sclérose multiple ont des troubles du désir sexuel ; et qu’entre 26 et 79% des patients ayant un accident vasculaire présentent une baisse de la libido.

Les lésions du lobe temporal droit sont particulièrement impliquées dans la perturbation de la fonction sexuelle. L’altération de la fonction du lobe temporal droit est souvent associée avec une hyposexualité, bien que certains patients présentent toutefois une hypersexualité ou un comportement sexuel déviant, comme le syndrome de Klüver-Bucy, qui est observé après lobectomie temporale bilatérale et qui est caractérisé par une hypersexualité, une hyperphagie, une boulimie, un comportement exploratoire tactile, des troubles mnésiques, un trouble de la reconnaissance des objets ou des visages, une apathie et des changements de l’humeur. Des études réalisées en neuroimagerie montrent aussi que 41% des patients sadiques sexuels ont une atrophie de la partie droite du lobe temporal alors que seulement 11% des sujets agressifs sexuellement et sans troubles de sadisme sexuel, et 13% des sujets sans trouble sexuel ont la même caractéristique cérébrale.

QUELQUES RECOMMANDATIONS POUR LA PRISE EN CHARGE NEUROPSYCHIATRIQUE DES DYSFONCTIONS SEXUELLES APRÈS UN TROUBLE NEUROLOGIQUE

Dans le contexte d’un trouble neurologique et/ou psychiatrique, il est important d’évaluer la problématique du désir sexuel avec le patient. Dans ce cas, il ne faudrait pas hésiter à demander une évaluation à une consultation spécialisée de sexologie pour une prise en charge globale et optimale. Une anamnèse et un bilan détaillés seront effectués tout en tenant compte du status avant le trouble. Une courbe d’évolution pourra ensuite être effectuée de manière régulière afin de mettre en corrélation la récupération de la fonction sexuelle et affective avec celle des troubles cognitifs et des troubles neurologiques et psychiatriques. Un suivi à plus long terme spécifiquement sexologique pourra aussi être prévu si nécessaire.

CONCLUSION

Une atteinte neuropsychiatrique peut entraîner une dégradation ou une anomalie de la fonction sexuelle, voire du désir sexuel. Le développement grandissant de la neuropsychiatrie du désir sexuel associé à celui des techniques d’imagerie cérébrale permet aux chercheurs et aux cliniciens de mieux comprendre le lien entre les troubles neurologiques et les troubles du désir sexuel qui sont associés. L’évaluation neuropsychiatrique systématique des troubles du désir sexuel permettra, nous l’espérons dans un proche avenir, de développer de nouvelles méthodes thérapeutiques et une prise en charge plus adaptée aux besoins du patient dans ce domaine spécifique. Des études interdisciplinaires et multidisciplinaires sont nécessaires pour parfaire les connaissances actuelles. Ce domaine constitue un défi fascinant pour les neurosciences cognitives et sociales ainsi que pour la psychiatrie.


Stephanie Ortigue, Francesco Bianchi-Demicheli