Cancer gastrique, une prise en charge multidisciplinaire

Le cancer gastrique est une pathologie fréquente. Il représente à l’échelle planétaire environ 934 000 nouveaux cas par année selon le Centre international de recherche sur le cancer (IARC) soit 8,6% de la totalité des nouveaux cancers. Ceci le porte à la quatrième place en termes d’incidence derrière les cancers du poumon (12,4%), du sein (10,6%) et colorectal (9,4%). Le cancer gastrique est plus fréquent chez l’homme avec un rapport 2:1. Il représente la deuxième cause de mortalité oncologique (10,4%) après le cancer du poumon (17,6%). On note une grande disparité géographique de sa prévalence, avec une prédominance dans les pays en voie de développement (60% des cas). En ce qui concerne l’Europe, l’incidence est la plus élevée en Europe de l’Est ainsi qu’au Portugal.


Au cours des dernières décennies, on a constaté au niveau mondial une diminution de la prévalence et de la mortalité du cancer gastrique. En Suisse, la mortalité annuelle liée au cancer gastrique a diminué de 72% entre les années 1980 et 2001. Une des hypothèses les plus communément avancées pour expliquer cette baisse est le changement des moyens de conservation des denrées alimentaires avec l’arrivée de la réfrigération. Celle-ci a permis de réduire la salaison, la saumure et le fumage des aliments et d’augmenter la consommation de légumes et fruits frais. La reconnaissance d’autres facteurs de risques tels que l’Helicobacter pylori(HP) et son éradication y ont probablement également participé.

PATHOGENÈSE ET FACTEURS DE RISQUES

A la différence du cancer colorectal où une séquence par étapes conduit de la dysplasie au carcinome, celle-ci n’est pas formellement établie dans le cancer gastrique. Toutefois un modèle est généralement accepté pour le cancer gastrique de type intestinal uniquement, qui décrit une progression de la gastrite chronique à la gastrite chronique atrophique, puis à la métaplasie intestinale et la dysplasie avant la transformation éventuelle en adénocarcinome.

Les principaux facteurs de risque sont les facteurs environnementaux. Il est intéressant de constater que des études de migration montrent que les populations à risque élevé tendent à réduire ce risque lors d’émigrations dans des zones à plus faible risque, surtout dès les deuxième et troisième générations. Les facteurs environnementaux ont donc probablement plus d’influence que les facteurs génétiques. Les facteurs incriminés sont une nutrition salée et fumée (riche en nitrates) et pauvre en légumes et fruits frais. La consommation d’alcool ainsi que le tabagisme sont également cités. La vitamine C et le bêta-carotène ont possiblement des effets protecteurs.

Un facteur étiologique spécifique est l’HP. Bien que des études initiales aient conduit à désigner HP comme carcinogène humain dès 1994, les données plus récentes suggèrent qu’il ne serait qu’un cofacteur dans la carcinogenèse gastrique (élément incriminant pour les tumeurs distales et possiblement protecteur pour les tumeurs du cardia). Le risque pourrait être augmenté selon la souche d’HP et ses facteurs de virulence, ainsi qu’en fonction du polymorphisme de certains gènes pro-inflammatoires de l’hôte (interleukine 1 bêta) déterminant la qualité et l’intensité de sa réponse inflammatoire à l’agent pathogène. Pour l’instant, les données sur l’éradication d’HP chez les sujets sains n’ont pas montré de diminution de la survenue de cancers gastriques. D’autres études à plus grande échelle sont en cours.

Citons quelques autres facteurs prédisposants, cliniquement moins pertinents, tels qu’un antécédent personnel de gastrectomie pour maladie bénigne, la radiothérapie, l’anémie pernicieuse, la maladie de Ménétrier et, possiblement, le virus Epstein-Barr.

PRÉDISPOSITION FAMILIALE

Les agrégations familiales représentent une proportion probablement non négligeable de cette maladie, comme suggéré dans certaines études italiennes qui montrent une agrégation familiale dans 10% des cas. L’atteinte germinale responsable n’est connue que dans une minorité de cas. Les syndromes héréditaires autosomaux dominants connus sont : le syndrome de Lynch ou Hereditary non-polyposis colorectal carcinoma cancer (HNPCC) qui représente un risque majeur (jusqu’à dix-neuf fois), la polypose familiale qui conduit cependant à un cancer gastrique dans moins de 10% des cas, et la mutation du gène de la cadherin-E (CDH1) qui est responsable de cancers gastriques de type diffus (ainsi que de carcinomes du sein lobulaires). Des critères de consensus pour le diagnostic de cancer gastrique familial ont été proposés (tableau 1) afin de proposer un dépistage génétique. Le groupe à l’origine de ce consensus recommande une gastrectomie prophylactique dès l’âge de vingt ans en cas de mutations de CDH1. Ces critères complètent les critères de Bethesda et d’Amsterdam utilisés pour le dépistage du HNPCC.

PLAN THÉRAPEUTIQUE

Il est capital de s’entendre avec les différents intervenants sur la stratégie thérapeutique dès le diagnostic d’une tumeur gastrique en raison de I’éventail des possibilités thérapeutiques. Le meilleur moyen est d’en discuter en équipe multidisciplinaire réunissant au minimum le chirurgien, l’oncologue, le radiothérapeute et le pathologue. Il est bien entendu fondamental de prendre en considération les préférences et volontés du patient afin d’opter pour une stratégie adéquate. Les objectifs de cette réunion multidisciplinaire peuvent être résumés en quelques points: 1) s’entendre sur le diagnostic histologique avec au besoin révision et/ou complément de l’examen anatomopathologique, 2) déterminer le stade tumoral (staging) en fonction de la clinique, des examens radiologiques et endoscopiques, 3) définir l’objectif thérapeutique (curatif ou palliatif) et 4) convenir des modalités de la prise en charge (traitement néoadjuvant, chirurgie en première intention éventuellement suivie d’un traitement adjuvant, chimiothérapie ou radiothérapie exclusive) en fonction du stade tumoral mais également en tenant compte de l’âge, des comorbidités ainsi que de la présentation clinique du patient.

CHIMIOTHÉRAPIE ET RADIOTHÉRAPIE PÉRIOPÉRATOIRE

La chimiothérapie adjuvante dans le cancer gastrique apporte un bénéfice modeste avec une diminution du risque relatif de mortalité variant entre 12% à 28% selon les méta-analyses. Toutefois, celles-ci regroupent des études comprenant souvent de petits collectifs de patients et des schémas de traitement désuets. En absolu, la chimiothérapie adjuvante ne représenterait qu’un bénéfice sur la survie de 3 à 5%.

Deux études randomisées (un bras investigationnel comparé avec une chirurgie exclusive), la première aux Etats-Unis et la deuxième en Grande-Bretagne, ont récemment influencé la prise en charge des tumeurs gastriques de chaque côté de l’Atlantique. La première a démontré un bénéfice sur la survie de la radiochimiothérapie postopératoire (chimiothérapie de 5FU et leucovorine (LV) d’induction) suivie d’une radiothérapie de 45 Gy étalée sur cinq semaines combinées avec la même chimiothérapie en début et fin de traitement. Deux cures supplémentaires de 5FU et LV ont été administrées un mois après la fin de la radiothérapie. Cette étude a toutefois été vivement critiquée pour la mauvaise qualité de la chirurgie gastrique, notamment de l’étendue insuffisante du curage ganglionnaire (54% des patients n’ont même pas eu un curage D1 adéquat). Le bénéfice de la radiochimiothérapie ne pourrait refléter ici qu’une compensation d’une chirurgie inadéquate. En conséquence, en Europe, celle-ci est principalement indiquée lors d’une chirurgie gastrique jugée «limite» ou insuffisante. La deuxième étude a évalué une chimiothérapie périopératoire avec trois cycles d’épirubicine, cisplatine et 5-FU avant et trois cycles après l’intervention chirurgicale. Celle-ci a non seulement démontré un downstaging tumoral dans le bras investigationnel mais également un bénéfice sur la survie. De plus, le taux de complications postopératoires était similaire dans les deux bras. Ce programme thérapeutique est en passe de devenir le standard en Europe. Il est recommandé pour les stades II et III.

SURVEILLANCE

Il n’y a pas de preuve dans la littérature qu’un suivi systématique à l’aide de marqueurs, d’un bilan sanguin et/ou d’examens radiologiques apporte un réel bénéfice clinique. En effet, lors d’une récidive tumorale, le traitement ne peut que très rarement être curatif. Le suivi recommandé est donc basé sur les plaintes cliniques avec un examen clinique tous les 3-6 mois au cours des trois premières années puis plus espacé ensuite.

CONCLUSION

Le cancer gastrique est une tumeur fréquente qui nécessite une prise en charge multidisciplinaire dès le diagnostic afin de déterminer la stratégie thérapeutique optimale. La chimiothérapie néoadjuvante est une stratégie prometteuse avec une bonne tolérance et l’absence de complication postopératoire supplémentaire. Elle a comme avantage l’obtention d’un downstaging tumoral évaluable cliniquement et pathologiquement et fait bénéficier d’un effet systémique précoce une plus grande proportion de patients que la chimiothérapie adjuvante. En cas d’atteinte péritonéale isolée, il est utile de référer les patients à un centre spécialisé afin d’évaluer l’indication à une cytoréduction chirurgicale associée à une chimiothérapie hyperthermique intrapéritonéale. Une chimiothérapie palliative permet d’assurer une bonne qualité de vie notamment en amendant la dysphagie et ainsi de favoriser une prise alimentaire suffisante, ceci pour autant que l’état général le permette.

Pierre Bohanes, Arnaud D. Roth, Olivier Huber