La prise en charge de la dysfonction érectile a été révolutionnée par l’arrivée du sildénafil, du vardénafil et du tadalafil. Efficaces chez plus de 80% des patients, ces trois molécules ont rapidement supplanté toutes les autres formes de traitements jusque-là disponibles. La même révolution pharmacologique est en train de se produire dans l’éjaculation précoce : les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) risquent de supplanter toutes les autres formes de traitements essentiellement d’essence psychosexologique. Il nous a semblé utile de faire le point sur la prise en charge de ce trouble sexuel extrêmement fréquent.
Dans le monde animal, plus une espèce est vulnérable, plus elle éjacule rapidement. Durant des siècles, le fait d’éjaculer rapidement était synonyme de survie et de vigueur. La révolution sexuelle, le droit à l’orgasme ont envoyé ce concept archaïque aux oubliettes.
Incidence
L’incidence de l’éjaculation précoce selon les données récentes de la littérature serait de 20 à 30%. C’est le premier trouble sexuel chez l’homme de moins de 30 ans. Son incidence reste relativement stable avec l’âge puisqu’elle est de 22% entre 40 et 49 ans et 23% entre 50 et 59 ans. 60% des hommes souhaiteraient éjaculer plus tardivement.1
Définition
Durant des années, la définition de l’éjaculation précoce a reposé sur une mesure du temps ou de mouvements. Le sexe se pratiquant en général à deux, certaines définitions ont ensuite intégré la partenaire. Pour Master et Johnson, était éjaculateur précoce l’homme qui éjaculait avant que sa femme n’arrive à l’orgasme dans 50% des rapports sexuels2 Cette définition n’était pas satisfaisante : en effet, l’homme qui éjacule après douze minutes mais dont la partenaire a besoin de quinze minutes pour arriver à l’orgasme ne peut être taxé d’éjaculateur précoce !
Pour H. Kaplan, l’éjaculateur précoce est l’homme dont l’orgasme se produit en tant qu’acte réflexe, c’est-à-dire qui échappe à son contrôle volontaire, une fois que son excitation sexuelle a atteint une certaine intensité.3 La seconde consultation internationale sur les dysfonctions sexuelles a intégré dans sa définition la souffrance que ce trouble engendre : brièveté de la latence éjaculatoire, perte de contrôle et détresse psychologique du patient et ou de sa partenaire.4
Dans le DSM-IV, l’éjaculation précoce est définie ainsi : éjaculation survenant de manière persistante ou récurrente, avec une stimulation sexuelle minimale, avant ou rapidement après la pénétration, avant que l’individu le souhaite. Pour poser ce diagnostic, il faut en outre que le trouble induise une détresse psychologique ou des difficultés de couple. Cette définition a une faible valeur prédictive et elle n’est pas employable en recherche ou en clinique. Les études cliniques visant à évaluer les ISRS, en les comparant entre eux et à des placebos, ont amené à reprendre comme critère de mesure, le temps et à utiliser le IELT (Intravaginal ejaculation latency time) qui définit le temps entre le début de la pénétration vaginale et l’éjaculation intra-vaginale.5 Dans une étude internationale réalisée dans cinq pays, portant sur 500 couples, le IELT médian était de 5,4 minutes, passant de 6,5 minutes chez les 18-30 ans et à 4,3 minutes chez les plus de 50 ans. Une autre étude aux Etats-Unis a montré que le IELT est de 7,3 minutes chez les individus sans troubles éjaculatoires et de 1,8 minute chez ceux consultant pour éjaculation précoce.6
M. D. Waldinger définit de manière empirique l’éjaculateur précoce comme étant l’homme dont le IELT est inférieur à une minute dans plus de 90% des rapports sexuels, indépendamment de son âge et de la durée de sa relation.
Etiologie
Les conceptions sur l’étiologie de l’éjaculation précoce ont évolué ces cent dernières années et peuvent être réparties en quatre phases chronologiques :
la première, 1887-1917, est celle où l’éjaculation précoce est reconnue et apparaît dans la littérature médicale, citée en 1887 par Gross, puis en 1901 par Krafft-Ebing ;
la seconde qui s’étend de 1917 à 1950, est celle où elle est décrite comme une neurose relative à un conflit inconscient. Déjà à l’époque certains auteurs attirent l’attention sur le fait qu’un problème anatomique comme un frein court, voire une hypersensibilité du gland, pourrait jouer un rôle ;
la troisième qui s’étend de 1950 à 1990 est celle où Master et Jonhson considèrent que l’éjaculation précoce est secondaire à un problème d’apprentissage ;
la quatrième qui a débuté en 1990 est celle où l’on évoque des problèmes d’hyper, voire d’hyposensibilité, des récepteurs cérébraux à la sérotonine.
CONCLUSION
Ejaculation précoce : traitement pharmacologique ou sexologique ? D’un point de vue scientifique, le traitement pharmacologique a fait de manière indiscutable la preuve de son efficacité à court terme. Cependant, ses effets secondaires ne sont pas négligeables et son efficacité à long terme reste inconnue. Il est impossible aujourd’hui d’affirmer qu’il guérit l’éjaculation précoce.
L’approche sexocorporelle est efficace selon ses partisans. Force est toutefois de constater, et c’est malheureusement le cas pour la plupart des traitements sexologiques, que les études prouvant cette efficacité font cruellement défaut. Le recours à la sexologie ne s’applique pas à tout éjaculateur précoce. Il faut en effet être prêt à consulter un sexologue, à se remettre en question, à investir du temps, de l’énergie et parfois de l’argent. Enfin, il vaut mieux partager son lit avec une partenaire compréhensive, patiente et à l’esprit ouvert. Ces conditions optimales ne se rencontrent pas chez tout un chacun. C’est la raison pour la quelle les ISRS, et notamment, la dapoxétine ont un bel avenir devant eux, ceci d’autant plus, qu’au contraire des sexologues, les moyens financiers pour faire leur promotion ne vont pas manquer. Le «marché» est là ! 20% à 30% des hommes souffrent d’éjaculation précoce et… 60% souhaitent éjaculer plus tardivement !